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Plaidoyer de l’œuvre vidéo-ludique

     Ces derniers temps, il est impossible de ne pas constater que le « jeu vidéo » est au centre de toutes les attentions. Mais alors que l’on en parle en des termes économiques quand il s’agit de spécifier que l’industrie vidéo-ludique est l’une des plus puissantes au monde, en termes sociologiques dès lors qu’une récupération politique est possible ou en termes médicaux à chaque étude publiée sur le sujet, il semble aberrant de ne voir personne aborder la nature de l’œuvre vidéo-ludique en tant que telle, ses tenants et ses aboutissants. Personne, si ce ne sont les joueurs eux mêmes, pourtant absents des colonnes de presse, des plateaux de télévision et relégués à la page des « commentaires » sur le web.

     Et par joueurs, il faut entendre les particuliers, développeurs indépendants, industriels du vidéo-ludisme. Catégories dans lesquelles on peut aisément retrouver des enfants en bas âge, adolescents, jeunes adultes, adultes et seniors. Mais alors, comment ça ? Pourquoi n’entend-on jamais ces personnes là ? Depuis les années 90 s’est développé une véritable culture de l’œuvre vidéo-ludique qui s’est fait l’écho des cultures tant continentales que mondiales, tant modernes que traditionnelles. Pourquoi donc ce milieu là est-il autant sujet aux critiques stéréotypées voire parfois même virulentes ? Le joueur serait-il véritablement une personne isolée socialement, sujette aux comportement excessifs ainsi qu’à l’addiction, recluse dans une communauté fermée de joueurs frénétiques, illettrés et a-culturés.

     Madame, Monsieur de la Détraction, il nous convient, joueurs de tous âges, développeurs, graphistes, compositeurs de vous adresser nos plus sincères remerciements car le défaut de discrimination, de réflexion et d’ouverture dont votre discours se fait une preuve criante – celle d’une connaissance partielle et fragmentée du sujet – a rendu nos arguments plus incisifs et pertinents que jamais.

     Parler du « jeu vidéo » en mettant de côté ses innombrables facettes, répercussions, inspirations, implications est une erreur commune dans le discours actuel qu’il convient de corriger.

     « Jouer à un jeu vidéo » est devenu au fil du temps une expression presque grossière, que certains ne prononcent qu’à demi mot, pour parler d’une activité ludique et interactive de divertissement à laquelle ils s’adonnent en utilisant un support électronique. Aujourd’hui, les termes de « jouer » et « jeu vidéo » associés sont parfois plus dur à associer voire prononcer (non sans gêne) que « regarder du porno » ou « se masturber ». Et pourtant, Madame, Monsieur de la Détraction nous vous démontrerons en quoi le « jeu vidéo-ludique » est un art multi-céphale au potentiel vertigineux.

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  • I] Une culture Ouverte (avec un petit « c » et un grand « O »)

     L’ovni du vidéo-ludisme n’en est qu’à ses premiers balbutiements et pourtant, sur d’antiques systèmes d’exploitations, se développent les premiers jeux. Des jeux de rôles directement inspirés de la littérature, dans lesquels d’innombrables lignes de texte blanc sur fond noir apparaissent pour vous conter une histoire dans un langage littéraire soutenu et vous demandent de faire des choix qui en changeront son cours. Des « jeux-vidéo » directement issus de l’histoire, des mythes, contes et légendes écrits ou oraux dont ils s’inspirent afin de ré-inventer, ré-interpréter, re-sculpter sur un support nouveau une pierre de l’édifice culturel humain, qui constitue son patrimoine inter-national et inter-générationnel depuis des milliers d’années.

     De la même manière que la littérature eut (et a toujours aujourd’hui) de colossales répercutions dans les autres domaines de l’art, que cela soit en sculpture, peinture, musique, cinéma, bande dessinée pour ne pas tous les citer, la littérature affecte également le « jeu vidéo ». Comment expliquer le succès – pour rester dans les jeux de rôle – d’une série vidéo-ludique comme celle de Mass Effect. Car elle s’inspire de thèmes et d’un univers empruntés aux œuvres d’auteurs de science fiction (tout comme la série d’animation Futurama, la bande dessinée Sillage, le cinéma avec Blade Runner, Star Wars, Minority Report, entre de nombreux autres … ) tels que Isaac Asimov, Philip K. Dick ou encore Ray Bradburry, qu’elle bénéficie d’une qualité d’écriture exceptionnelle ainsi que d’une mise en scène qui n’a rien à envier au cinéma (et qui s’en est même inspirée). Doit-on préciser que derrière les jeux Mass Effect se tient tout une batterie d’artistes graphistes, d’informaticiens, de compositeurs qui s’inspirent donc de leur représentation, de leur culture, de leur connaissance, des mythes, des questionnements philosophiques inhérents à ces thèmes ainsi que de leur imaginaire personnel tout aussi bien que de l’imaginaire collectif, afin de concevoir ces jeux vidéo ?

     Comment faut-il prouver que le « jeu vidéo » n’exclut pas les joueurs du processus de création et qu’ils les amènent même à redoubler d’inventivité et de réflexion en leur fournissant les outils de la création vidéo-ludique, de manière à ce qu’ils se laissent aller au sentiment grisant de créer quelque chose eux même ? Et s’il se trouve que quand on leur laisse cette liberté, ils en profitent pour donner un parfait exemple de la nature du multiple impact et de la résonance multi-directionelle de cet art ?

     En témoignent ces joueurs qui recréent des personnages et environnements entiers issus du cinéma d’animation d’Hayao Miyazaki, de l’oeuvre de J.K Rowling #, d’autres jeux comme Le Seigneur des Anneaux #, Pacman, The Legend of Zelda #, ou simplement créent des structures architecturales inspirées des constructions romaines ou de la géométrie impossible de M.C Esher, dans le jeu bac à sable Minecraft.

 

     En témoignent également ces joueurs qui ont découvert après avoir entreprit la reconstitution (en modant le célèbre jeu Duke Nukem 3D) du Overlook Hotel dans The Shining de Stanley Kubrick, que la structure du bâtiment n’était pas cohérente ; que la façon dont nous est montré l’intérieur de l’hôtel par Kubrick présente des incohérences qui sont censées donner des indices au spectateur sur l’étrangeté du bâtiment et sur la conclusion de l’histoire qui nous est conté.

(DukeNukem 3D The Shining vers 1:39 mn)

  Un avant dernier exemple cette fois-ci dans le domaine de la musique avec cette incroyable performance du thème de The Legend of Zelda interprété par un orchestre à l’occasion de 25 ans de le licence de Nintendo. Ce rapport artistique est d’ailleurs réciproque, puisque le jeu vidéo empruntent parfois des compositions directement tirée du classique # allant de Bach à Monteverdi en passant par de la musique traditionnelle russe.

 Il serait aisé de citer toutes les œuvres vidéo-ludiques qui sont ou font écho aux autres domaines de l’art, comme la peinture, la gravure, la sculpture et la musique, mais cela pourrait prendre des semaines. On finira donc avec un dernier exemple très récent d’un jeu (Qasir al-Wasat : A Night in-Between) développé par un studio indépendant à qui il a été demandé lors d’une interview réalisée pour Game Sphere, quelles étaient ses sources d’inspiration lors de la création du jeu :

     « Les premières idées derrière Qasir furent grandement influencées par le personnage Oboro du jeu Live a Live par Squaresoft, par le premier Metal Gear et par certains The Legend of Zelda (plus précisément A Link to The Past et Link’s Awakening).

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     Pour la création de notre personnage et de son univers, nos principales influences sont le théatre Brechtien, l’occultisme goétien et hermétique ainsi que la mythologie Caanéenne. Plus tard pendant le développement, la localisation moyen-orientale du jeu nous amena à nous inspirer des contes des Mille et une Nuits, puis plus occasionnellement du Le Marchand de Sable de Neil Gainman et de façon plus inattendue, du folklore Faërique. La composition de la musique et des bruitages ont été quant à eux grandement influencés par les travaux de Sergei Prokofiev.

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     Au final, la direction artistique fût orientée vers une perspective abstraite à la Zelda : The Minish Cap, le coup de pinceau stylistique de Braid et les jeux de Vanillaware. Le style graphique, de l’apparence simplifiée des personnages aux décors hautement détaillés (chaque salle étant entourée d’un cadre doré), est inspiré des enluminures médiévales perses. »

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     Il est – désormais sans conteste – évident que le « jeu vidéo » est un objet culturel gratifiant, bourré de références (pour plus d’informations, voir cette émission du blogger Usul # ) et qui se pose en nouvel (dans le sens « inédit ») interprète de données artistiques et culturelles héritées depuis toujours par notre espèce. Mais pourquoi est-il tant décrié ?

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  • II] Une question de représentation(s)

     Les critiques émises envers le domaine du vidéo-ludisme portent essentiellement sur le caractère violent de certains titres, mais aussi cycliquement sur leur potentiel addictif. Outre l’habile mais extrêmement réductrice opération – ne s’attarder que sur certains aspects du sujet – de récupération politique, essayons d’y voir un peu plus clair.

     Selon le dictionnaire de langue française Larousse un jeu est une « activité d’ordre physique ou mental, non imposée, ne visant à aucune fin utilitaire, et à laquelle on s’adonne pour se divertir, en tirer un plaisir ». Définition qui ne nous reste plus qu’à adapter au vidéo-ludisme et ça nous donne donc « activité d’ordre physique ou mental, non imposée, ne visant à aucune fin utilitaire, et à laquelle on s’adonne pour se divertir virtuellement, en tirer un plaisir ». Rien de bien difficile en fin de compte. Pour plus de précisions sur le sujet, voici une conférence (ci-dessous) qui aura pour but de clarifier la nature du jeu vidéo

                                     

(conférence sur le statut du jeu vidéo-ludique)

          Jouer aux « jeux-vidéo » tient donc de l’ordre du divertissement. Divertir, selon la définition littéraire classique, c’est détourner son attention, ses pensées vers quelque chose d’autre, ici vers du virtuel. Si l’on s’accorde sur ce qu’en dit Pascal – philosophe français du 17ème – dans les Pensées, le divertissement tient dans le fait de se détourner des questionnements, problématiques de sa condition, de les ignorer volontairement : « les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont avisés pour se rendre heureux, de n’y point penser ». Ici, nous avons donc une fuite vers le virtuel, opposé à l’actuel (qui existe dans le concret). Dans les Pensées, tout comme dans le cas du jeu vidéo-ludique la fuite vers le virtuel, le divertissement ne résulte point en une fermeture ou un abandon de l’actuel, qui est nécessaire pour justement retrouver l’essentiel divertissant. Le divertissement n’est donc pas synonyme d’absence de réflexion après tout, au contraire, de plus en plus de jeux exploitent des thématiques très sérieuses et mettent à rude épreuve la logique, et les capacités cérébrales des joueurs, à leur plus grande joie.

     L’argument le plus utilisé contre les « jeux vidéo » est que la mise en scène de la violence est dangereuse depuis que les avancées technologiques dans le domaine vidéo-ludique ont permis d’afficher des textures et donc des graphismes de plus en plus réalistes. Cela pourrait provoquer, des comportements violents dans la « vraie vie » voire un passage à l’acte pour certains. Il est également avancé que ce qui différencie un jeu d’un film violent, est que le jeu requiert une interaction, une participation à la violence, ce que l’on ne retrouve pas dans le cinéma. Sauf que par la même, ils arrangent une corrélation complètement déplacée, qu’ils établissent à l’envi selon le contenu idéologique de leurs propos ; et ils en profitent pour écorcher voire même détruire le pouvoir que le cinéma (ainsi que tout autre domaine de l’art) peut avoir sur nos émotions et nos conceptions, en déclarant qu’il n’y a pas d’interaction du spectateur avec ce qui est à l’écran. Je suppose que certains cinéastes doivent se retourner dans leurs tombes. Je vous renvoie au discours de la conférence ci-dessus pour comprendre un peu mieux en quoi le jeu vidéo, tout comme la lecture, le visionnage d’un film, etc, tient d’une “expérience instrumentée”.

     Le fait est que l’œuvre vidéo-ludique, telle que décrite depuis le début du développement, n’est pas si différente de l’œuvre La Trahison des Images peinte par Renée Magritte au début du 20ème siècle, représentant une pipe en dessous de laquelle est inscrit : « ceci n’est pas une pipe ». L’intention du peintre était de démontrer que même représentée de la manière la plus réaliste qui soit, ce n’était pas une vraie pipe, faite de bois, que l’on peut bourrer de tabac et fumer.

     Le traitement des « jeux-vidéo » n’est nullement différent de celui d’une peinture. En tout cas, il ne doit pas en être autrement, car ce que souhaitait Magritte – et nous ferons l’affront d’effectuer le parallèle avec les « jeux-vidéo » – était de mobiliser l’imagination et la réflexion du joueur (ici) afin de contester, interroger ce qui tient de la réalité et de remettre en question ses conceptions. Il est donc essentiel de bien comprendre qu’un fusil, si réaliste soit-il n’est pas un fusil, et que tuer un ennemi n’est, en termes de données informatiques, qu’une interaction comme une autre avec l’environnement virtuel du jeu. Et c’est une erreur enfantine que de justifier le comportement violent de certaines personnes en le corrélant avec sa pratique du jeu vidéo. A ce propos, vous trouverez ci dessous une vidéo commentée d’une map custom de Doom, dans laquelle est abordé le thème de l’altérité et de la représentation de l’autre et dont voici quelques citations:

“- On est dans un monde [celui du jeu vidéo] sans violence en tant que tel, on essaye de nous donner l’illusion de la violence. – On essaye de nous faire croire qu’il s’agit d’alter-ego, d’Autrui”

“On cherche à te donner l’illusion que tu es face à Autrui […] on te simule la violence, t’es là pour les tuer mais pas seulement brutalement, parce que justement la violence se distingue de la brutalité. Il n’y a pas que de la brutalité dans le spectacle que l’on nous donne, on démarre dans de la représentation de la violence”

“Seul Autrui peut être victime de violence […] et vu que ce ne sont pas des Autrui [les monstres de la vidéo] c’est ton regard qui les génère; c’est donc qu’ils sont déjà à toi. Donc là ce que tu fais c’est juste de l’amusement, il n’y a pas de délit moral”

“- A ce moment là, les programmes que j’ai tué, les sprites qui sont là, ils sont toujours dans une forme de programmation, ils existent toujours, ils ne sont pas vraiment morts. – Ils sont toujours programmés, ils ont changé de sprite en tant que tel, mais le programme est juste passé en mode non-agressif. […] Jusqu’ici tu n’as rien tué, tu as juste désactivé”

                                                

 

     Tout comme il est du domaine des connaissances collectives qu’un personnage de film tué dans un métrage n’est en fait qu’un acteur qui joue la comédie. Car si l’on suit bien le raisonnement des détracteurs du jeu vidéo qui avancent la participation dans l’acte de violence, le joueur n’est donc pas si différent de l’acteur qui pointe un flingue sur la tempe de son partenaire et appuie sur la gâchette, ou alors d’un gamin qui s’entraîne à tirer sur les pigeons au pistolet à bille, ou encore des amateurs de laser-game ou encore paintball. Si ce n’est que ces derniers le font réellement (pour rester dans la non-rigueur).

     Au final, on se rend bien compte que les nombreuses et très visibles critiques adressées aux « jeux vidéo-ludiques » ne sont qu’un écran de fumée politique destiné à trouver une corrélation arrangée et justifier des comportements aux origines ô combien complexes, plutôt que de questionner intelligemment le fond du problème. Et ça, les joueurs l’ont parfaitement compris ; en plus ils sont partout, et parmi nous. Sachez également que nous – joueurs – qui ne sommes pas bornés, entendons parfaitement les critiques à l’encontre de la mise en scène d’une représentation de la violence, et il va bien sûr sans dire que comme toute chose, un apprentissage des règles du domaine vidéo-ludique est absolument essentiel à la réduction d’un éventuel impact négatif sur les joueurs. Ce qui est valable pour la télévision, le cinéma, et toute autre forme d’art quand on aborde le sujet de l’impact de la représentation, est qu’il faut éduquer et protéger les publics susceptibles d’être plus sensibles à certaines de ces représentations. Alors, plutôt que de masquer, tronquer la véritable nature de l’oeuvre vidéo-ludique et au lieu de la transformer en objet de peur, cherchons à le comprendre, éduquons les générations futures à l’activité de jouer; et ce qui n’est déjà qu’un problème lilliputien, se résoudra de la manière la plus douce qui soit.

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3 Commentaires

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  1. Avatar de MauvaisVitrier
    14 décembre 2012, 16 h 15 min

    De nombreux ajouts ont été implémentés: liens vidéos, citations, et images pour mieux illustrer le propos

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  2. Stupefly
    14 décembre 2012, 16 h 37 min

    Uchhh

    Très intéressant !

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  3. 14 décembre 2012, 19 h 31 min

    très bon article!

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