Test: Dear Esther
Dear Esther est un jeu vidéo développé par le studio indépendant The Chinese Room, et est sortit sur PC le 14 février 2012 pour la somme de 8€. Il est disponible sur Steam à cette adresse.
Aujourd’hui j’ai décidé de ne pas me faire d’amis. Car aujourd’hui j’ai testé Dear Esther, et que j’ai ressenti le besoin d’en parler. Je vais donc commencer le test d’une manière bien différente de celle que j’utilise habituellement. Dear Esther a tellement fait parler de lui, qu’il n’existe aucun moyen pour quelque testeur de ne montrer ne serait-ce qu’une once d’objectivité au milieu de ce tumulte de sentiments et d’opinions. Je vais donc m’efforcer de donner mon avis le plus clairement et argumenté qu’il soit.
Pour commencer prenons une définition du jeu par l’ami Wikipédia, afin de voir de quoi il s’agit exactement:
The game does not follow traditional video game conventions, as it involves minimal interaction from the player and does not require choices to be made or tasks to be completed. It instead places focus on its story, which is told through a fragmented, epistolary narrative read to the player as they explore an unnamed island in the Hebrides.
J’ai entendu ces derniers temps, beaucoup d’éloges sur Dear Esther, et également pas mal de critiques, très souvent pauvrement argumentées, dans un sens comme dans l’autre. Je veux bien entendre les critiques positives ou négatives de qui que ce soit, mais à partir du moment où elles ne sont pas appuyées, elles tombent en lambeaux. Dear Esther a trop souvent été qualifié d’expérimentation vidéoludique ayant accouché d’un titre hybride tanguant entre le domaine du jeu vidéo, du cinéma et de la littérature. C’est une comparaison lourde de sens, et également lourde de conséquences.
Suivant quelque peu l’actualité de Jonathan Blow, j’avais remarqué que l’Indie Fund - après avoir aidé Q.U.B.E, un bon jeu au demeurant – soutenait la sortie d’un nouveau jeu adapté d’un mod d’Half Life 2, nommé Dear Esther. Je ne connaissais pas la première version du jeu, mis à part une ou deux vidéos par ci par là, et quelques oui-dires. J’ai donc sauté sur l’occasion et ai essayé le jeu à sa sortie.
Ma première impression fût très mauvaise, la deuxième puis la troisième fûrent encore pires. Parce que même après mûre réflexion, je n’ai pas réussi à sauver Dear Esther du gouffre dans lequel il s’était lui même enfoui.
Le monde du jeu vidéo indépendant est assez extra-ordinaire, c’est une communauté forte qui se serre les coudes, qui invente et ré-invente sans cesse les codes d’une discipline perdue dans les méandres de l’industrie du jeu vidéo. Beaucoup n’ont de cesse de clamer l’originalité du milieu indépendant, son ouverture d’esprit, sa propension à rester à l’écoute et au service de sa commauté. On assiste à un véritable boom du jeu vidéoludique indépendant, et l’on ne peut que saluer les initiatives prises par des développeurs jamais à court d’idées. Cependant, un jeu vidéo reste un jeu vidéo. Et quelles que soient ses prétentions, ses intentions, et ce qu’il est au final, il faut prendre garde à bien garder à l’esprit qu’un jeu vidéo possède une définition à respecter. Sans entrer dans des considérations purement techniques sur la dialectique du jeu vidéo, et son rôle linguistique en tant que notion, un jeu possède des caractéristiques qui permettent de l’identifier, tout comme on peut discerner une chaise, d’une table.
Quand on compare Dear Esther à un mélange entre un jeu, un film et un livre, il convient aux plus attentifs de revoir les caractéristiques de chaque élément cité. Et c’est là qu’intervient le véritable souci. Car en effet, Dear Esther, n’est ni un jeu, ni un film, ni un livre.
Mais quand je dis cela, ce n’est pas pour dire qu’il est bien plus que tout ça; c’est pour dire qu’il l’est bien moins. En tous points, Dear Esther n’effleure que de très loin l’intérêt qu’apportent – de façon dissociée ou assemblée – chacun de ces domaines. Peut-on appeler Dear Esther un jeu vidéo ? Beaucoup diront que « non ». Soit ! Il est vrai que Dear Esther montre une absence totale de gameplay, une linéarité au summum de l’agacement et une liberté de mouvement et d’action digne d’une camisole de force. Dear Esther n’est donc pas un jeu vidéo. Sauf si l’on considère que se ballader dans un environnement 3D correspond à la définition d’un jeu. Encore une fois, c’est concevable, mais il ne faut pas oublier qu’un jeu sert à jouer. Ce qui n’est clairement pas le cas.
Ensuite, nous avons la comparaison avec un film qui pointe son nez. Pourquoi ? Parce qu’il est très contemplatif, très « théatral » dirons-nous à défaut d’autre chose, très cinématographique ? Il me semble qu’une comparaison avec ce domaine là est une nouvelle fois complètement hors de propos étant donné que je n’ai jamais vu de film proposant une expérience d’une heure à peine, permettant de contempler des textures dépassées made in Source Engine, contant une histoire aussi dépouillée et possèdant une photographie uniquement basée sur l’insularité, la solitude, et les plans en plongée/contre-plongée sur des maisons vides à flanc de colline, ou des plages. Cela serait bien mal connaitre le domaine du cinéma que de comparer Dear Esther à un film. Un film des années 20, muet, sans histoire, avec une qualité d’image pourrie et des effets visuels réalisés au ciseau et à la colle à bois à même la pellicule (cf. fimographie Buster Keaton), reste cent fois plus intéressant et intéractif que Dear Esther.
Pour finir, nous avons la comparaison avec la littérature. Et je pense que c’est là que se trouve le plus gros malentendu de cette histoire. Sans même parler du prix, un livre apporte en quantité, interactivité, graphismes, réflexion, durée – tout ce que vous voulez – largement plus que ce que propose Dear Esther. La richesse de tous les genres de littérature, le pouvoir de notre imagination – qui s’occupe bien mieux des graphismes que le moteur Source (même si ce n’est pas qu’une question du moteur de HL2, n’importe lequel reviendrait au même au final) – son pouvoir à nous faire réfléchir, à se poser des questions et à nous tenir occupé pendant des heures, ne peut se substituer à ce qu’offre Dear Esther.
En conclusion, nous avons un ovni (et ici ce n’est pas positif) qui s’est essayé à de multiples genres, mais sans jamais approcher une seule fois ce qui fait l’essence de chacun d’eux. En somme, un jeu qui n’en est pas un, un film qui n’en est pas un, et un livre qui n’en est pas un.
Je veux bien saluer le désir d’innover, de tester de nouvelles choses, de nouveaux genres. Mais Dear Esther aurait mérité d’être bien plus réfléchi, car je ne peux le conseiller à personne. Vous voulez jouer, jouez à un vrai jeu. Vous voulez voir de belles choses, de beaux plans, allez voir un film. Vous voulez connaitre une belle histoire, qui vous fasse réfléchir ? De nombreux genres littéraires sont à votre disposition.
Dear Esther est un ersatz de chacune de ces choses, la tentative aurait pu être intéresante, mais pour moi, elle est amplement ratée.
NB : J’ai pris le temps de m’exprimer de façon argumentée, détaillée, je me suis expliqué sur le pourquoi du comment. Si vous souhaitez exprimer votre désaccord, veuillez le faire de la même façon, je serais ravi de l’entendre. Il vous est également possible de publier votre propre test.
Résumé
Les + | Les - |
---|---|
pas horrible à l'oeil (mais 8€ juste pour une refonte graphique ça fait cher) | Musique peu inspirée, linéarité abrutissante, gameplay inexistant, histoire bancale et pseudo-philosophique |
Score du jeu : |
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Ouaw ! C’est severe
C’est marrant parce qu’au final j’ai eu une impression complètement inverse du jeu. Note d’ailleurs que j’appelle bien Dear Esther un jeu.
D’ailleurs ce que j’y trouve formidable, c’est qu’il s’éloigne de tous les repères et critères habituels pour en faire un produit que l’on ne peut juger que par son expérience personnelle, et donc à mon sens, cela rend le jeu absolument pas notable.
Reste également la notion de gameplay, qui peut aussi poser problème. En effet, on ne peut que se déplacer, et dans un couloir à peine voilé. Cependant, c’est du gameplay, minimaliste et peu ludique, « emmerdant » pour certains, mais il n’est pas inexistant. Au contraire, c’est de ce genre de limites imposées aberrantes que l’on peut voir émerger bon nombre de nouvelles idées.
Autant je comprend parfaitement les critiques négatives de Dear Esther (plus que les positives d’ailleurs, qui sont finalement des espèces d’éloge à un « art » qui ne serait maitrisé que par Flower et consorts), autant tu tombes dans des travers que je trouve un peu gênants.
Dire « Un film des années 20, muet, sans histoire, avec une qualité d’image pourrie et des effets visuels réalisés au ciseau et à la colle à bois à même la pellicule (cf. fimographie Buster Keaton), reste cent fois plus intéressant et intéractif que Dear Esther. » ne me semble pas être l’avis le plus argumenté qui soit. C’est un jugement de qualité (très discutable en passant) qui vient comparer des arts différents, alors qu’il n’a jamais été question ici d’un film. Certains ont en effet fait la comparaison avec le cinéma, mais le jeu, lui, jamais. En ce sens je trouve la critique faussée, car il s’agit ici de s’en prendre à l’interprétation d’un autre et la prêter à Dear Esther, alors que ça n’est pas le cas.
C’est dommage parce que ce genre de chose décrédibilise tout ton texte alors que tu as un point de vue parfaitement justifiable.
Au final j’ai apprécié l’expérience, au point de la recommencer … 3 fois. Peut être que le hype autour du jeu (qui est quand même le boulot de l’Indie Fund en même temps, faire parler des jeux) est à remettre en cause car j’ai l’impression que beaucoup s’attendaient à autre chose.
Je trouve que la référence au cinéma n’est pas déplacée dans la mesure où nous ne sommes, sous une forme innabituelle, que spectateur d’une oeuvre créée par d’autres. Il n’y a dans Dear Esther aucune liberté de mouvement, et aucun élément de gameplay pouvant justifier l’absence de scénario. Tout est du domaine du contemplatif.
C’est là que cet ovni se perd, nous ne sommes ni dans un jeu, ni dans un film. Et pourtant si l’on devait le rapprocher d’une oeuvre existante, j’aurai tendance à évoquer des films. En particulier les très bons « The Ghost Writer » ou « Shutter Island ». Tous ont ce point commun de nous emmener sur une île mystérieuse où s’abattent pluie violente et vents déchaînés,contribuant à instaurer une tension permanente chez le spectateur, un climat de méfiance pour le personnage principal.
Là ou les films de Polanski et Scorcèse se servent de ce cadre pour narrer des thrillers psychologiques captivants à l’atmosphère froide et opressante, Dear Esther se contente de poser le décors, en allant même jusqu’à faire disparaître le personnage principal. On doit se contenter de regarder, de trouver ça beau. Bof.
J’ai aimé Dear Esther.
Ce n’est pas explicable, mais on ne compare pas pour autant cela à un livre ou à un film. C’est un jeu. Particulier, certes.
Bon .. du coup vous m’avez bien motivé à essayer le jeu pour me faire mon avis !
@Sinsem: j’ai longtemps hésité avant de rajouter le passage sur le cinéma, car il pouvait paraître plutôt confus. Je reste cependant satisfait de l’avoir incorporé. Cependant, de là à dire que c’est un passage qui discrédite tout le reste, je ne pense pas. Les deux autres éléments se suffisent déjà à eux même.
Maintenant, je n’ai jamais aspiré à une quelconque objectivité, car l’appréciation de Dear Esther en tant qu’hybride, dépend de la culture et de l’éducation et surtout de la sensibilité de chacun.
Il ne m’a pas plu, j’ai essayé de chercher pourquoi, j’en suis ressortit avec ça.
Je suis content que Dear Esther te plaise malgré tout
(note que je n’ai pas utilisé le mot jeu ^^ )
Moi ce qui me gène vraiment, c’est de venir parler de la prétendue interactivité supérieure d’un film sur Dear Esther, ça me donne pas envie de lire plus loin.
J’aurais aussi pu citer ce passage « Sans même parler du prix, un livre apporte en quantité, interactivité, graphismes, réflexion, durée – tout ce que vous voulez – largement plus que ce que propose Dear Esther » qui encore une fois me parait un résumé assez grossier d’une comparaison qui n’a pas lieu d’être vu que, comme tu le dis si bien (et nous sommes d’accord la dessus) Dear Esther dépend de la sensibilité de chacun.
Je trouve que ce test est très bien, mais pour toi uniquement, et si j’étais amené à en faire un, il ne me conviendrait qu’à moi, car pour moi Dear Esther montre vraiment les limites du « test » et du jugement « qualitatif » très technique d’un jeu.
Maintenant effectivement, ça explique aussi pourquoi le jeu ne te plait pas, mais on tombe dans un dialogue de sourd car l’article exactement inverse peut être écrit par quelqu’un qui a aimé, et il n’aura pas moins raison. (Tout en étant aussi subjectif, évidement)
Bah justement c’est l’intérêt. Écris en un. Le but c’est qu’il n’y en ai pas un seul qui subsiste. J’ai expliqué pourquoi il ne me plaisait pas, et je pense que si tu en écrivais un, j’aurais aussi de nombreux points qui me froisserait, que je serais amené à critiquer.
Tu ne juges pas certains points dignes d’être pris en compte, alors que je leur donne moi beaucoup d’importance. La comparaison avec le cinéma est une critique de l’esthétique et de la cinématographie de Dear Esther, que je trouve très légère.
Puis comme tu le dis, écrire un test sur Dear Esther n’a pas vraiment de sens puisqu’il n’est pas notable, cependant je pense qu’il est nécessaire de rédiger des critiques qui vont dans les deux sens afin que les gens puissent savoir si ils voudront payer 8€ ou pas pour y jouer. La note est sévère mais elle importe peu, je ne pouvais pas rédiger ce que j’ai écrit sans faire suivre la note.
Du peu que j’y ai joué, j’ai pas trop accroché non plus..
Bon article, bien écrit, qui défend une vision que je ne suis pas loin de partager. La note est sévère, mais il vaut mieux en faire abstraction et se concentrer sur le contenu de l’article.
Je ne suis pas le mieux placé pour parler du jeu puisque je n’ai pas pu en suivre l’histoire à cause de l’absence de traduction française. Mais je dirai qu’il y a dans Dear Esther du potentiel, du potentiel seulement car en tant que tel cet ovni qui n’est pas commercialisable, il s’apparente plus à une démonstration technique destinée à attirer d’éventuels financeurs. Sauf que non. Il manque une réelle trame scénariste, un élément mystérieux capable de susciter l’intérêt du spectateur/joueur.
J’aime beaucoup ton parti pris Mauvais Vitrier et ta vision du jeu vidéo qu’on sent respirer sous tes lignes. à tout faire pour l’image et l’émotion n’a ton pas oublié l’essentiel d’un jeu vidéo ?
Comme pas mal de personnes ici q’y n’ont pas encore acheter Dear Esther, tu me donnes vraiment envie d’essayer ne serait-ce que pour savoir ce qu’il en retourne (et c’est génial parce que c’est justement le but des tests ^^).
Merci ! C’est flatteur ^^
Hésitez pas à rédiger le votre ensuite
Oh, d’ailleurs.
Vous n’êtes pas seul sur cette île.
Quand on achète Dear Esther, on a l’impression d’avoir dépensé 10€ dans des wallpapers d’half life 2… l’arnaque.